Notre Rédaction de info360.info à l’honneur de recevoir Mme Brigitte Bishop, une figure éminente et respectée dans la lutte contre la corruption
Venue tout droit de Montréal, Mme Bishop participe en tant que conférencière à la première édition du Colloque International sur le Genre et la Corruption, organisé par le projet LUCEG et l’ENAP à Bamako. Avec un parcours impressionnant en tant qu’ex-procureure de la couronne, ex-Inspectrice générale et directrice de la conformité et des projets spéciaux de la ville de Montréal, Mme Bishop partage son expertise sur le thème « corruption, un mal endémique ».Son intervention lors de ce colloque a été marquée par des perspectives novatrices et des solutions pragmatiques pour briser le silence et agir ensemble contre la corruption, en mettant un accent particulier sur les impacts différenciés de la corruption sur les femmes et les hommes. Nous sommes ravis de pouvoir discuter avec elle de ses expériences professionnelles, des défis rencontrés et des stratégies efficaces qu’elle recommande pour renforcer la lutte contre ce fléau mondial.
Info360.info: Alors, dans un contexte et expérience personnelle, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et de ce qui vous a amenée à vous intéresser à la corruption ?
Bbshop: Je me suis intéressée à la corruption très tôt dans ma carrière de procureure, à l’époque le Canada était à élaborer des politiques de lutte contre le blanchiment d’argent. Il m’était inconcevable que la punition pour des crimes générateurs de profits n’était que de l’incarcération. Le criminel, une fois sa sentence terminée, bénéficiait de tout de ses avoirs peu importe leur provenance et souvent, les camouflait dans des activités licites.Ce type de financement notamment dans les institutions est vite devenu une curiosité chez moi, j’ai donc participé à la première unité de procureur pour la lutte contre les produits de la criminalité. J’ai parfait mes connaissances en obtenait un DESS en criminalité financière. J’ai confisqué de nombreux actifs provenant des fruits de l’activité criminelle de membres du crime organisé.Une opportunité de devenir Inspectrice générale de la ville de Montréal s’est présentée. Ce mandat de lutter contre la corruption dans la passation et l’octroi de contrats publics s’avérerait être la continuité de mon cheminement puisque souvent, les criminels utilisent ces fonds publics pour y blanchir leurs actifs criminels. J’ai donc résilié plusieurs contrats publics obtenus par criminels que j’avais déjà fait condamner.
Info360.info :Quelles sont les principales leçons que vous avez tirées de vos différentes fonctions en matière de lutte contre la corruption ?
Bship: Il faut être passionné et persévérant ! Changer les mentalités, sensibiliser la population, faire comprendre les bonnes pratiques prend du temps …
Info360.info: Revenant à l »état de la corruption, quelle est votre définition de la corruption et pourquoi la considérez-vous comme un mal endémique ?
Bbshop: De façon succincte, pour moi, la corruption est le fait de détourner un processus ou une interaction dans le but d’en obtenir des avantages ou des droits particuliers.
L’action des corrupteurs est toujours latente. C’est le propre des gens désabusés du système ou individualistes et des criminels de n’être que motivés que par leur gains personnels (financiers, obtention de prérogatives particulières) .
Info360.info: Quels sont les secteurs les plus touchés par la corruption et pourquoi ?
Bshop: Avec cette conférence, nous comprenons que tous les secteurs sont malheureusement touchés par la corruption. Je crois que l’éducation (qu’est-ce que la corruption mais aussi quels sont vos droits) ainsi que la prévention (comment éviter, comment dénoncer) sont souvent déficientes.
Info360.info: Genre et corruption. Selon vous, comment la corruption affecte-t-elle différemment les femmes et les hommes ?
Bbshop: Les services publics, les entreprises ont longtemps été gérés par des hommes. La reconnaissance de la compétence des femmes, de leur voix est difficilement reconnue voire entendue rendant ainsi la femme très vulnérable à l’abus de pouvoir.
Info360.info: Quelles sont les principales barrières que rencontrent les femmes pour dénoncer la corruption ?
Bbshop: L’absence de mesures de protection contre les représailles advenant une dénonciation de leur part. C’est souvent la crainte de subir des représailles pour elle et/ou leur famille qui met un frein à la dénonciation.
Info360.info: Par rapport aux mesures et solutions, quelles selon vous-même, les stratégies efficaces qui ont été mises en place pour lutter contre la corruption, et quelles ont été les plus fructueuses selon votre expérience ?
Bsbshop: Un gouvernement qui se dote lui-même d’une politique contre la corruption, d’un code d’éthique clair et dont il est imputable.La création de bureaux indépendants de lutte contre la corruption a été une solution efficace. L’indépendance financière et hiérarchique de ces bureaux permet une grande autonomie dans les interventions.L’obligation pour les entreprises désirant obtenir des contrats publics, d’obtenir un certificat de probité et à l’inverse le pouvoir des bureaux de surveillance de mettre à l’écart les entreprises ayant commis des manœuvres frauduleuses.
Info360.info: Quelles mesures spécifiques recommandez-vous pour renforcer la participation des femmes dans la lutte contre la corruption ?
Bbshop: Certainement des colloques comme celui-ci. La formation, les discussions (plénières), l’appui et le soutien du groupe sont très stimulant et facilitent l’engagement des femmes.Plus concrètement, les mesures de protection des dénonciateurs et des personnes vulnérables contre les représailles
Info260.info: Comme rôle des institutions et de la société civile. Selon vous, quel rôle peuvent jouer les institutions gouvernementales et la société civile dans la prévention et la lutte contre la corruption ?
Bbshop: Elles doivent jouer un rôle de premier plan en prêchant par l’exemple. La confiance dans les institutions est la base même de la lutte contre la corruption. Lorsque la population croit en la probité des fonctionnaires et dirigeants, généralement, elle se rallie aux règles.
Info360 info: Comment les communautés locales peuvent-elles être impliquées de manière plus active dans ces efforts ?
Bbshop: Il y a beaucoup d’efforts et d’initiatives, je crois qu’il faudrait coordonner ces initiatives, partager les bonnes pratiques et surtout les encourager…et en assurer un suivi …il ne faut pas que ces initiatives ne soient que passagères.
Info360.info: En matière de perspectives globales, pouvez-vous donner des exemples de pays ou de régions où des initiatives contre la corruption ont montré des résultats prometteurs ?
Bbshop: La ville de Montréal au Québec, a créé en 2014 un bureau de l’inspecteur général dont le but est de surveiller l’octroi, la passation et l’exécution des contrats publics.Ce bureau est indépendant financièrement et hiérarchiquement. Le mandat de l’inspecteur général est non renouvelable d’une durée de 5 ans. L’inspecteur général relève du conseil municipale, ne peut être destitué et possède une immunité contre les poursuites civiles.
Info360.info: Comment voyez-vous l’évolution de la lutte contre la corruption dans les années à venir, notamment en ce qui concerne l’intégration des questions de genre ?
Bbshop: Je suis optimiste. Nous constatons une hausse des femmes scolarisées et donc nommées à des postes clés (professeure, politiciennes, avocates, économistes). De plus en plus nos jeunes filles et femmes auront des modèles féminins positifs qui pourront les inspirer.
Info360.info: Quels messages et appel à l’action aimeriez-vous transmettre aux femmes présentes au colloque et à celles qui luttent contre la corruption dans leur quotidien ?
Bbshop: Brisons le silence et soyons unies afin de parler d’une voix forte, d’une même voix.
Info360.info: Quels sont les premiers pas que chacun peut faire, individuellement et collectivement, pour contribuer à la lutte contre la corruption ?
Bbshop: Comme je l’ai mentionné dans le cas des institutions, prêcher par l’exemple ! Nous avons le fardeau de démontrer à nos pairs que l’intégrité peut être un mode de vie.
Me Brigitte Bishop, est avocate au Barreau du Québec depuis 1989, avec une licence en droit de l’Université d’Ottawa et un DESS en criminalité financière de l’Université de Sherbrooke. Elle a exercé en tant que procureure de la couronne pendant plus de 30 ans, spécialisée dans les poursuites criminelles, notamment contre les motards criminalisés et les produits de la criminalité. Elle a également été conseillère juridique à la Sûreté du Québec et a plaidé devant toutes les instances judiciaires en droit criminel. Elle a contribué à l’élaboration de projets de loi municipaux, provinciaux et fédéraux, et a témoigné devant des commissions parlementaires. Depuis décembre 2018, elle est inspectrice générale de la ville de Montréal, ayant obtenu le titre de « Certified Inspector General » (CIG) de l’Association américaine des inspecteurs généraux et siège au conseil d’administration de cette association.
Entretien réalisé par Mamadou Camara dit Madou’s info360.info