Mali : Une haute fonctionnaire de l’ONU appelle à une approche holistique pour faire face à la crise en matière de sécurité et de droits de l’homme
NEW YORK / BAMAKO / GENÈVE (9 novembre 2021) – La détérioration de la situation sur le plan de la sécurité au Mali doit être traitée de toute urgence par une approche holistique qui s’attaque à l’impunité, place les droits de l’homme au centre de la réponse sécuritaire et va au-delà de la seule réponse militaire, a déclaré la Sous-Secrétaire générale des Nations Unies aux droits de l’homme, Ilze Brands Kehris, à l’issue d’une visite de six jours dans le pays.
Brands Kehris a séjourné au Mali du 1er au 6 novembre pour s’entretenir avec un large éventail d’interlocuteurs de la situation et des priorités en matière de droits de l’homme au Mali et dans la région du Sahel. Elle a notamment mis l’accent sur la protection des civils et la lutte contre l’impunité, y compris dans les régions du sud du Mali, ainsi que sur le soutien à la Force Conjointe du G5-Sahel pour la mise en œuvre de son Cadre de conformité aux droits de l’homme et au droit international humanitaire.
Au cours de sa visite, Brands Kehris a rencontré le Premier ministre malien, le Dr Choguel Kokalla Maïga, et plusieurs représentants du gouvernement, notamment le Ministre de la justice et des droits de l’homme et le Ministre de la défense et des anciens combattants. Elle a également rencontré le Président de la Commission nationale des droits de l’homme et s’est entretenue avec le Secrétaire exécutif du G5-Sahel ainsi qu’avec le Commandant de la force conjointe du G5-Sahel. Elle a par ailleurs rencontré la communauté diplomatique ainsi que des représentants de la société civile.
Sa visite s’est déroulée dans le contexte de la transition politique en cours au Mali, un pays confronté à une crise à plusieurs niveaux résultant de l’imbrication de défis en matière de sécurité, de politique, de droits de l’homme, humanitaire et de développement socio-économique, exacerbés par des contextes locaux très divers entre et au sein des régions.
La récente détérioration de la situation sécuritaire au Mali est démontrée par l’expansion de l’insécurité et le déplacement actif des groupes extrémistes violents du nord et du centre vers le sud du pays, l’augmentation du nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays (PDI), qui a presque quadruplé en deux ans, et la tendance à la hausse des fermetures d’écoles, qui sont passées de 1344 en janvier 2021 à 1595 écoles en juin, affectant quelque 478 500 élèves. Ces évolutions se sont produites dans un contexte de retrait accru de la présence et du contrôle des autorités publiques dans ces zones.
Tout en exprimant sa vive inquiétude face à l’expansion marquée de la violence, la Sous-Secrétaire générale a fait part de son admiration pour les approches novatrices adoptées au niveau local pour prévenir la violence.
« Les initiatives de paix et de réconciliation menées par les communautés démontrent qu’il est possible de désamorcer les tensions et de réduire la violence par le dialogue et par le biais de mécanismes de résolution des conflits afin de s’attaquer aux facteurs qui contribuent à la violence intercommunautaire, tels que la compétition en matière d’accès à des ressources peu abondantes », a-t-elle déclaré.
Tout en appelant à soutenir – y compris financièrement – les initiatives menées par les communautés et les accords de paix locaux que les populations signent librement, elle les a opposés aux « accords » imposés par des groupes extrémistes violents à plusieurs communautés vivant dans des zones où l’État n’est pas présent. Nombre de ces accords sont incompatibles avec les normes et critères relatifs aux droits de l’homme, notamment en ce qui concerne les droits fondamentaux des femmes et des filles.
« Il est inacceptable d’être obligé de choisir entre renoncer à ses droits fondamentaux et être tué », a déclaré Brands Kehris. « Il est absolument essentiel de travailler au rétablissement progressif de la présence et de l’autorité de l’État dans le centre du Mali et dans tout le pays ».
La situation des droits de l’homme a également continué à se détériorer. La Division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA (la DDHP de la MINUSMA) a constaté une grave augmentation des violations des droits de l’homme et des atteintes à ces droits, en documentant 2032 incidents en 2020, ce qui représente une augmentation de 48,86 % par rapport à 2019.
Plus récemment, entre juin et septembre 2021, la Division des droits de l’homme a documenté 725 violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits (159 et 566 respectivement), soit une augmentation de 71,80 % par rapport au trimestre précédent.
Si les groupes extrémistes violents sont parmi les principaux auteurs de violations des droits de l’homme et des atteintes à ces droits au Mali, les groupes d’autodéfense et les milices communautaires commettent également des atteintes, et il existe des allégations crédibles de violations des droits de l’homme et du droit humanitaire perpétrées par les forces nationales et internationales lors d’opérations antiterroristes. La Sous-Secrétaire générale a également reçu des rapports faisant état d’une augmentation du nombre de cas de violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment des violences sexuelles liées au conflit, et a souligné la nécessité de renforcer la capacité à traiter ces cas et à répondre aux besoins des survivants et des survivantes.
Brands Kehris a exprimé sa profonde inquiétude face aux multiples rapports indiquant que l’esclavage fondé sur l’ascendance est encore largement toléré dans la société malienne, y compris par certains politiciens influents, chefs traditionnels et religieux, responsables de l’application des lois et autorités judiciaires. « Le Mali doit criminaliser l’esclavage sans plus attendre et prendre toutes les mesures appropriées pour mettre fin à cette pratique », a-t-elle souligné.
Au cours de sa visite, Brands Kehris s’est rendue à Mopti, dans le centre du Mali, la région où la plupart des violations des droits de l’homme et des atteintes à ces droits ont été documentées. Elle accueille également plus de la moitié de la population des personnes déplacées.
Les données partagées avec la Sous-Secrétaire générale ont montré l’effet disproportionné de la violence sur la région, où 71 % des décès liés aux conflits ont été enregistrés en 2020. Dans un camp de personnes déplacées à l’intérieur du pays, Brands Kehris a vu de près le visage humain qui se cache derrière ces chiffres. Les personnes avec lesquelles elle s’est entretenue ont exprimé leur souhait de rentrer chez elles dès qu’elles seraient en sécurité et ont expliqué pourquoi il était si important qu’elles puissent retrouver les moyens de subvenir à leurs besoins, un sentiment partagé par les jeunes qu’elle a rencontrés lors d’un programme de formation sur les moyens de subsistance dans la région.
Plusieurs acteurs, dont des défenseurs des droits de l’homme et des chefs religieux, ont souligné la dégradation des conditions socio-économiques dans le pays et ont prévenu que la stigmatisation et la discrimination dont font l’objet certaines communautés, notamment les Peuls/Foulani, ainsi que les violations commises lors des opérations antiterroristes, contribuent à la radicalisation.
Lors de ses discussions avec les autorités maliennes et les forces de défense et de sécurité, Brands Kehris a reconnu les défis complexes auxquels le Mali et ses partenaires sont confrontés dans leurs efforts pour rétablir la sécurité, comme l’illustrent les attaques continues menées contre les forces nationales et internationales et la MINUSMA.
Elle a réaffirmé que les opérations militaires ne suffisent pas à répondre à la crise et a appelé à une réponse holistique de la part du Mali, avec le soutien de la communauté internationale, afin de relever les multiples défis en matière de sécurité, de politique, de droits de l’homme, d’économie et de développement qui ont contribué à la crise ou l’ont exacerbée.
« La protection des droits de l’homme est non seulement un impératif moral et une obligation juridique, mais aussi une nécessité opérationnelle », a-t-elle déclaré, ajoutant que la lutte contre l’impunité et le traitement adéquat des cas de violations commises par les forces de sécurité contribueraient à obtenir le soutien des populations locales.
Tout en se félicitant du fait que la lutte contre l’impunité figure parmi les priorités du plan d’action national du gouvernement de transition adopté en août 2021, elle a souligné que cet engagement doit se traduire par des actions et des résultats concrets, notamment en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites dans les affaires de corruption et de terrorisme – où des progrès ont été constatés – mais aussi pour les cas présumés de violations des droits de l’homme par des membres des forces de défense et de sécurité.
Certaines des personnes avec lesquelles la Sous-Secrétaire générale s’est entretenue se sont dites préoccupées par le grand nombre d’armes légères en circulation au sein de la population civile, en partie en raison du vide sécuritaire créé par une présence insuffisante de l’État, mais aussi en raison d’éléments criminels organisés. Elles ont appelé à une action urgente pour mettre fin à la prolifération des armes au sein de la population de la région.
Si le Mali doit redoubler ses propres efforts pour relever les défis complexes auxquels il est confronté, un soutien international est également nécessaire, a souligné la Sous-Secrétaire générale. Cela devrait inclure une approche multilatérale pour soutenir les efforts nationaux en matière de paix et de sécurité au Mali et au Sahel, notamment par le biais du Conseil de sécurité des Nations unies et d’autres mécanismes régionaux.
Un cadre clairement défini et concret pour garantir que les opérations de sécurité sont menées conformément au droit international des droits de l’homme et au droit humanitaire, et d’une manière qui protège les civils, est essentiel pour faire face efficacement à la situation en matière de sécurité dans l’immédiat et à moyen terme, a déclaré Brands Kehris.
La Sous-Secrétaire générale a fait le point sur les progrès et les défis concernant la mise en œuvre du Cadre de conformité aux droits de l’homme et au droit international humanitaire de la Force conjointe du G5-Sahel et s’est félicitée de la coopération entre le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies et la Force conjointe sur cette initiative innovante. Elle a été encouragée par l’engagement exprimé par le Commandant de la force de continuer à travailler à la pleine opérationnalisation du Cadre de conformité ainsi que par l’accent mis par le Secrétaire exécutif du G5-Sahel sur l’intégration des droits de l’homme. La Sous-Secrétaire générale a salué ces efforts et s’est félicitée de l’accord visant à renforcer la coopération entre le Bureau des droits de l’homme des Nations Unies et la Force Conjointe à cet égard.
FIN