Sécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali : le problème fondamental demeure la sécurité foncière dans le domaine agricole, dixit Dr Alou Barry
L’Amphi 500 de l’Université de Ségou a servi de cadre 3 août 2022, pour une conférence sur le thème : « Problèmes et contraintes de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Mali «, animée par Dr Alou Barry. C’était en présence d’un nombre important d’enseignants-chercheurs du Mali, avec la présence notoire du Recteur de l’Université de Ségou. Il y avait aussi de nombreux étudiants dans la salle.
D’entrée de jeu, le conférencier plante le décor en posant la question principale dont la réponse va constituer le fil conducteur de la conférence qu’est ce que c’est que la sécurité alimentaire ? Quelles sont les problématiques et les Contraintes surtout au niveau nutritionnel et alimentaire ?
La sécurité alimentaire existera lorsque tous les maliens auront, à tout moment, un accès physique, économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive qui leur permettront de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ». Pour le conférencier Dr Alou Barry, on considère classiquement que la sécurité alimentaire comporte quatre dimensions ou ‘‘piliers’’.
Il s’agit entre autre, l’accès (capacité de produire sa propre alimentation et donc de disposer des moyens de le faire, ou capacité d’acheter sa nourriture et donc de disposer d’achat suffisant pour le faire) ; la disponibilité (quantités suffisantes d’aliments, qu’ils proviennent de la production intérieure, de stocks, d’importations ou d’aides) ; la qualité nutritionnelle (des aliments et des régimes alimentaires des points de vue nutritionnel, sanitaire, mais aussi socio-culturels).
Et tout cela, il faut le quatrième pilier, la stabilité (des capacités d’accès et donc des prix et du pouvoir d’achat, des disponibilités et la qualité des aliments et des régimes alimentaires). Une fois ces précisions apportées ; le conférencier est revenu sur le cas malien pour faire le lien avec la situation socioéconomique. Il a affirmé que la sécurité alimentaire a été impactée par des crises multidimensionnelles.
Insécurité, la sécheresse, la covid-19, facteurs impactant la sécurité alimentaire
De son avis, la situation alimentaire et nutritionnelle, au Mali, est caractérisée par une insécurité alimentaire touchant 25% des ménages, selon l’enquête SMART de 2015. Le conférencier a qualifié la situation du Mali d’aberration. Ainsi, le Mali dépense pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Un budget il estime à hauteur de : 37, 05 milliards en importation de riz (Instat : Bulletin du commerce extérieur de 2011 à 2014, 20 milliards de FCFA en importation du lait (CSA : Rapport Analyse diagnostique de la situation alimentaire du Mali 2017), et 09 milliards en importations de poissons (CSA : Rapport Analyse diagnostique de la situation alimentaire du Mali en 2017.
Pour lui ces chiffres sont interpellateurs et il s’agit de les corriger. On ne peut pas être là et ne pas produire soi-même et tendre vers la sécurité alimentaire. Mais le Mali a beaucoup travaillé dans le domaine agricole avec la loi d’orientation agricole. Pour le conférencier, le problème fondamental demeure la sécurité foncière dans le domaine agricole. Il y a des villages qui n’existent plus à cause de l’insécurité foncière par ce qu’il qualifie des « prédateurs ». Ensuite le Dr Alou Barry a développé son idée sur la question de la Loi d’Orientation Agricole. Pour lui cette loi devra permettre entre autres la sécurisation des droits fonciers individuels ou collectifs, des droits des exploitations agricoles familiales par la délivrance de diverses attestations relatives aux transactions foncières agricoles, la mise en place d’un cadre cohérent de gestion du foncier au plan national, prenant en compte la décentralisation. Le conférencier propose que cette loi prenne en compte l’accès des femmes et des jeunes aux terres agricoles aménagées par l’Etat ou les Collectivités territoriales, la promotion et l’accompagnement du développement des institutions locales et décentralisées de la gestion foncière notamment les commissions foncières en vue de renforcer l’implication des populations rurales dans la gestion foncière agricole. Ce qui aux yeux des organisations paysannes, est une véritable menace pour le droit à l’Habitat et à l’alimentation des démunis, l’agriculture familiale et certains villages risquant de disparaitre à jamais. Pour la première fois dans l’histoire du Mali, note le conférencier, le sac de mil de 100Kg a dépassé 40 000 fcfa, idem pour le maïs. Le conférencier de rappeler que dans sa jeunesse le sac de maïs ne dépassait pas 5000 fcfa.
Le conférencier est revenu sur « le projet Tracteur » en affirmant que s’il est louable, le projet demeure inadapté. La mécanisation de l’agriculture est une bonne chose encore faut-il qu’il y ait des terres cultivables. Or, on remarque que les tracteurs servent plus au transport du bois qu’à l’agriculture. Ce qui est inacceptable pour lui. Il a donné l’exemple des tracteurs garés dans la cour de l’Université de Ségou en plein hivernage. Il note qu’il n’y a pas suffisamment de terres aménagées pour l’utilisation des tracteurs. Donnez le tracteur à quelqu’un qui a moins de 5 hectares n’a absolument pas de sens. C’est un cercle vicieux au lieu de participer à la sécurité alimentaire, le tracteur transporte plutôt le bois, participant à la sécheresse. C’est inacceptable.
La sécurité alimentaire et nutritionnelle reste défavorisée aujourd’hui par les changements climatiques qui se caractérisent par la rareté de l’eau de qualité, les problèmes de cyanures ou tout simplement par la mauvaise qualité des eaux.
Par rapport au niveau approvisionnement le conférencier note un manque de matières de qualité ; un manque d’infrastructure de stockage ; une insuffisance d’unités de transformation pour le lithium produit par exemple dans la région de Bougouni, qui sera dans les années à venir la ressource minière la plus recherchée. Il a évoqué également le manque de moyens de transports adaptés, les prix non compétitifs, la qualité des matières premières, leur conditionnement – le prix du Kg de mangue variant du simple au triple par manque de conditionnement – ce qui explique que des pays comme la Chine parvienne à nourrir l’Afrique avec des produits originaires de l’Afrique. Le coût élevé de l’Energie est sans doute un frein au développement de tous les secteurs.
La condition de la pisciculture a été évoquée aussi. L’importation du poisson représente 09 milliards (CSA Rapport Analyse diagnostique de la situation alimentaire du Mali en 2017). Le conférencier a évoqué la destruction du système aquatique par la pression des hommes ou les effets des dragues. Le manque de formation dans le domaine, le manque d’infrastructures, le manque de géniteurs etc sont des pistes à améliorer. Les aliments des poissons sont très chers. Résultat de cette situation c’est encore une fois la Chine qui ravitaille l’Afrique de manière générale, et de Mali singulièrement en tilapia et en carpes. C’est une situation inconcevable pour le conférencier. Il a fait l’analogie avec ‘’la montée en puissance de l’armée’’ du gouvernement pour demander les autorités maliennes en profitant de la présence du Recteur de l’Université de Ségou de mettre en place aussi ‘‘la montée en puissance de la sécurité alimentaire’’ pour des résultats tangibles rapidement comme nous l’avons vu avec l’armée malienne ;
Sur l’élevage, Dr Alou Barry a souligné le paradoxe du Mali dont l’importation en lait coûte plus de 20 milliards (CSA : Rapport Analyse diagnostique de la situation alimentaire du Mali en 2017). Le comble du paradoxe, c’est que le cout du kilo de la viande coûte cher au Mali que dans des pays limitrophes, alors que le Mali est le premier producteur de bétail dans la zone UEMOA, deuxième producteur de bétail dans la Zone CEDEAO après le Nigéria. Mais ce qui est grave, c’est qu’avec la transhumance, nos bétails traversent les frontières limitrophes. Les pays limitrophes commencent à créer des conditions favorables pour les éleveurs maliens et leurs bétails avec comme conséquence à long terme la division du cheptel malien en 2 au profit de ces pays comme la Côte d’ivoire.
Il a évoqué la question de l’insécurité foncière, de l’insuffisance fourragère, les problèmes d’abreuvoirs ; l’insuffisance de pâturage ou des inséminateurs, le manque d’équipements de transformations, insuffisance d’unités de transformations et d’infrastructures de stockage. De même qu’il y a une faiblesse des transferts de technologie entre Etats. Par rapport à la commercialisation des produits, il a été fait mention de la concurrence déloyale avec les produits importés. La difficulté de commercialisation des produits saisonniers, la mévente du lait en période hivernale sont des domaines à explorer. Le conférencier a souligné un manque criant d’organisation du secteur de l’élevage.
En conclusion, il a rappelé le fait que le Mali est un pays d’élevage par excellence avec plus de 10 millions de bovins, 31 millions de caprins et d’ovins. Au moins 80% de la population rurale évolue dans ce domaine qui constitue la principale source de revenus pour plus de 30% de cette population. La production laitière des races locales qui était 1,5 à 2,5 litres/jour, aujourd’hui avec les laitières, la productivité varie de 8 à 20 litres par jour. Il note aussi qu’il faut savoir manger, pour les nutritionnistes le sucre tue, le sucre est un poison lent.
La malbouffe, ceux qui ont les moyens mangent plus mal que les pauvres. Les maladies d’aujourd’hui sont des maladies de civilisation l’hypertension, le diabète, les maladies cardio-vasculaires, le cancer et l’ostéoporose etc. Si les maladies étaient des carences, aujourd’hui les maladies sont des excès et de qualité. On ne sait plus manger. Il faut qu’il y ait plus de sensibilisation pour dire ce qui veut dire bien manger. Il faut privilégier les fruits et légumes bio et de chez-nous. Moins sucré, moins gras, moins salé et bouger plus.
La volonté politique aussi ne doit pas être un slogan mais des actions. Pour ce faire, le conférencier a donné l’exemple de Napoléon Bonaparte. Lorsqu’il y a eu le blocus continental, la navale anglaise était la meilleure, les Anglais ont bloqué la France, il n’y avait pas de sucre de canne des Amériques. Et Napoléon demanda à ses chercheurs – et nous sommes des chercheurs ici – de trouver la solution. C’est à la suite qu’on avait trouvé Marggraf, qui avait trouvé que la betterave contenait du sucre. On a extrait de la betterave du sucre (Sugaro Kolon djou) avec lequel on fit du pain. Tellement que Napoléon était enthousiaste, il enleva sa croix de légion d’honneur pour décorer Benjamin Delessert. C’est cela la volonté politique.
Il y a tout au Mali, l’eau, la terre, le soleil, les jeunes, Agissons ! Que les jeunes arrêtent, tout le monde ne peut pas aller dans les bureaux, qu’ils retournent aux terres. L’Office du Niger est un don de Dieu avec son système gravitaire, a-t-il lancé. Il a conclu que le défi majeur du Mali reste la paix et la sécurité. Pour le conférencier sans la paix et la sécurité, impossible d’atteindre les résultats de la sécurité alimentaire. Aujourd’hui il n’y a plus de cultures dans la région de Mopti en raison de l’insécurité.