Presse écrite face au défi du numérique :  » Le numérique et le papier, peuvent et doivent coexister ensemble », dixit Madame Traoré

En quelques années, le paysage médiatique a connu des transformations rapides et sans précédent. Le webactivisme,  le media numérique (sites webs, réseaux sociaux) ont fait leur apparition et grossi à une vitesse faramineuse jusqu’à imposer leur leadership. Quand bien même que la qualité de certains contenus de certains médias numériques laisse à désirer, ils génèrent d’importantes recettes publicitaires. En effet, ces évolutions technologiques affectent la presse papier. Avec un avenir incertain, elle subit de plein fouet la crise économique (baisse des abonnements et des recettes publicitaires, etc.). Il revient donc à cette presse classique de se restructurer en profondeur pour affronter le défi du numérique.
Pour savoir davantage comment la presse papier se porte, notre rédaction a approché le staff du « Nouvel Horizon« , premier quotidien privé malien, fondé par feu Chouadou Traoré. Cette première entreprise de presse privée malienne, qui a également contribué à l’avènement de la démocratie, est désormais gérée par la famille fondatrice, sous la supervision de l’épouse.

1.Madame Traoré, pouvez-vous présenter et présenter votre entreprise de presse?

Je me nomme Hanane Keita Traore. Je suis la directrice de publication du quotidien Nouvel Horizon depuis 2015 crée par feu mon époux Chouaidou Traore en Septembre 1991. Son fondateur était un acteur de la révolution de 91 et un fervent défenseur de la démocratie qui a travers sa société de media voulait mettre en avant la liberté d’expression. Apres plus de 30 ans d’existence, nouvel horizon tient toujours le flambeau de cette presse qui se bat quotidiennement pour maintenir et rétablir les faits.

  1. Comment réagissez-vous face à l’évolution du nouveau paysage ( numérique) des médias?

Effectivement, le boom du numérique a envahi tous les aspects de notre vie quotidienne et n’a pas uniquement affecté le secteur de la presse : en tant qu’écrivaine j’ai pu constater que même dans le monde des livres, les formats numériques tel que le Kindle ou les tablettes numérique ont largement pris le dessus sur la version papier. Plus facile d’accès, parfois moins cher, plus léger à transporter, les aspects positifs ne manquent pas pour expliquer le succès du “tout numérique”. Dans certaines écoles en Europe ou au Japon, on apprend même depuis la maternelle aux jeunes enfants à utiliser une tablette et un stylo numérique plutôt qu’un crayon et un cahier.

C’est justement parce que j’ai connu ces deux mondes que je suis en mesure d’affirmer que la presse papier a encore de beaux jours devant elle : les journaux papier restent une référence en termes de crédibilité de l’information. À l’heure du numérique où tout va très vite dans l’actualité, le métier du journaliste reste de vérifier, de s’assurer et de fournir une information fiable, car ce sera écrit et imprimé et comme vous pouvez vous en douter une rédaction s’expose à des poursuites judiciaires en cas d’impair, il faut donc être vigilant et rigoureux . Le journal papier est durable : une fois la lecture terminée on le plie et il se range quelque part, tandis que le numérique s’efface du téléphone pour que l’utilisateur puisse sauver sa “data”. Bien que cela semble banal, dans notre monde qui se veut de plus en plus écologique le papier est recyclable de milles manière, par exemple au Mali les femmes qui font la vente le réutilise, leur donnant une seconde vie, tandis que le numérique s’il donne l’impression de s’évaporer, termine dans une “poubelle digitale” qui pollue chaque année mondialement notre atmosphère.

De plus, le numérique pose la légitimité de qui écrit quoi et pourquoi, de la transparence de l’utilisation des données et de la provenance des informations et a causé, comme vous avez pu le constater, une avalanche de scandales dit de “fake news”.

Je reste néanmoins convaincu que l’un et l’autre, le numérique et le papier, peuvent et doivent coexister ensemble : grâce à ce format aujourd’hui même dans les zones les plus reculées un individu peut avoir accès à l’information, peu importe son niveau de vie. C’est une révolution dans le droit à l’accès à l’information, je dirais même à la connaissance. Le numérique permet aussi aux tenants de la presse de digitaliser leur contenus, donc de rester attractif sur le marché des médias internationaux et même dans certains pays, de contourner la censure en cas de fermeture des locaux.

3.Quels sont leurs impacts sur votre entreprise? Et, comment marche t-elle actuellement et pourquoi ?

Qu’entendez-vous par impact ? Le nombre de lecteurs et lectrices qui achètent le journal ? La popularité de nos articles qui sont repris sur les portails d’information ? Je dirais simplement que si nous sommes toujours présents sur le marché, après plus de 30 ans, c’est déjà parce que nous avons respecté la ligne éditoriale pré-existante : le défunt promoteur disait toujours que “l’intégrité engendre la crédibilité”. NOUVEL HORIZON suit une ligne éditoriale sérieuse, renseignée et pointilleuse. Nos partenaires savent qu’en cheminant avec nous, le travail sera correctement effectué dans les délais impartis.

4.Qu’est qui a marché avant et qui n’a pas marché avec la saga du numérique?

Nous disposons d’un site internet très actif, qui est réactualisé tous les jours par l’équipe technique. Ce qui ne fonctionne peut-être pas avec le numérique de nos jours au Mali, est l’absence dans certaines zones ou région de la connexion internet : difficile pour un habitant de Taoudéni d’avoir un accès régulier à internet, à contrario d’un bamakois. Le numérique tout comme le papier possède donc des limites d’accès géographique, bien que le papier puisse se transporter dans certaines zones ou régions reculées.

5.Quels enseignements vous avez tiré de cette situation?

Il revient déjà à l’État de trouver une solution infractitutionnelle à ce vide créé par l’absence d’accès internet, car l’accès à l’information est reconnu en tant que droit notamment par l’UNESCO qui prévoit un accès aux connaissances.  À notre échelle, nous souhaitons une presse malienne proche de tous les citoyens, raison pour laquelle nous n’hésitons pas à distribuer gratuitement, lorsque cela est possible, les journaux à des revendeurs issues de petites localités.

  1. Si vous devez tout recommencer, que ferez-vous après ? Avez vous des méthodes contemporaines de répondre aux exigences des nouveaux consommateurs des média pour développer l’audience de Nouvel Horizon ou de trouver de nouveaux revenus? Si oui, citez nous un exemple.

On ne change pas une équipe qui gagne. Nous continuerons à fouler les pas du défunt promoteur, en sa mémoire et par respect pour le travail de toute une vie abattue. Aussi vrai que le numérique a pris une place importante dans la vie des gens, il y aura toujours une place pour la presse papier. Souvenez-vous : n’entendons-nous pas il y a 10 ou 15 ans qu’avec la popularité de l’internet et l’avènement de plateformes comme Youtube ou Netflix que la Télévision allait disparaître ? Elle a certes connu un déclin, mais elle reste très populaire dans les ménages du monde entier où les familles se retrouvent devant pour regarder les programmes télévisés. Aujourd’hui Netflix passe par une crise de désabonnement de masse. L’audience de Nouvel Horizon continuera à s’expandre et à atteindre de nouvelle cible grâce aux canaux que nous expérimentons, mais aussi grâce à Dieu.

  1. Votre mot pour la fin ou un appel à lancer ?

Il est aujourd’hui important de soutenir l’existence de la presse écrite au Mali. Les gouvernements doivent s’impliquer plus dans la mise en œuvre de programmes, de financements à destination de notre secteur, car ce sont des milliers d’emplois qui génèrent une économie pour le pays. La presse ne doit pas être combattue, mais aimée : elle est un allié pour qui veut l’accepter. Ce métier est parfois pénible et étouffant et il faut avoir un amour sincère pour le faire, voilà pourquoi j’encouragerai les plus jeunes à se former dès les écoles adaptées avant de se lancer dans ce beau métier.

Propos réaccueillis par Madou’s Camara

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